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Radio Campus : Interview de Didier Gesquière

Homme providentiel qui tombe à pic, conseiller des plus grands, mais aussi ass hole invétéré. Préparez-vous à rencontrer Horace Hole, la personnalité du moment! Incarné par Didier Gesquière, cette figure emblématique à faire pâlir nos politiciens manie avec talent le sens de l’entourloupe langagière, le tout animé par le goût de la révolte. Horace Hole est décrit comme « un pirate Rock And Roll qui aurait mangé un petit Hannibal Lecter au petit-déjeuner ».

Ça donne envie! Et dans ses mots, si la manipulation guette, que le mensonge est présent, ce qui n’empêche pas cet homme universel d’avoir beaucoup de choses à dire sur notre société contemporaine. Après l’épatant documentaire sur l’identité rock, Rock’n’roll isn’t only rock’n’roll, Didier Gesquière et Céline Charlier surprennent encore. À voir au « Jardin de ma soeur » dès le 10 février. Mais avant ça, interview!

Horace Hole - Didier Gesquiere - spectacle (3)

Bonjour Didier. Avant toute chose, qui est Horace Hole par rapport à vous, Didier Gesquière ? Un Jekyll et un Hyde ? Deux personnalités d’une même personne schizophrène ? Horace Hole n’est-il pas une sorte de Chris Conty (un chanteur imaginaire prétendument évaporé en 1981 et dont les 25 ans de sa disparition furent fêtés dans un grand hommage en 2006) ?

Forcément, en tant qu’auteur et interprète, jouant dans un seul-en-scène, il y a quelque chose du personnage qui rend schizophrénique. L’écriture vient de moi, ils sont issus de ma production au cours des dix dernières années. En fait, ils auraient pu être des textes de chroniques de radio ou… des débuts de pièces. Dès lors que j’ai commencé à répéter, je trouvais intéressant que ce personnage d’Horace Hole ne soit pas totalement moi. Même si c’en était un prolongement, je devais aussi arriver à pervertir ce que je suis et mes écrits. C’est un personnage qui peut dire des choses que j’ai pensées et même écrites un jour mais qui, dans sa bouche, prennent une dimension toute autre.

Et puisque ce personnage n’existe pas, que les gens vont venir le voir, l’allusion à Cris Conty est plutôt pertinente. S’il est une invention, il est quelque part mon jumeau sur scène. Ce côté-là m’intéresse. Dans « Horace Hole », il y a « ass hole », trou du cul, et je pense que c’est sans doute mon côté « trou du cul » qui ressort, une partie différente de ce que je suis dans la vie courante.

Horace Hole est un homme influent de ce monde (on parle de Barack Obama, de Staline), comment cela se peut-il ?

C’est quelque chose qui m’échappe. On est allé trouver François de Brigode – ayant travaillé à la RTBF et Céline y travaillant toujours, on le connaît un peu, d’où sa participation dans Rock’n’roll… – et on lui a demandé de parler de Horace Hole pour le faire exister un peu sur les réseaux sociaux. C’est lui qui a trouvé cette idée d’influence et cette fraternité qui fait qu’Horace Hole a plein de frères et sœurs jumeaux. Ça me convenait dans la mesure où Horace est un personnage pluriel. Il aimerait, et François l’a perçu dans le peu de textes qu’il a lu de moi, fréquenter les grands de ce monde. Il le vit par un côté « menteur », comme l’ont tous nos communicants et politiciens à l’heure actuelle.

Comment les journaux communiquent, comment les communicants communiquent et comment les politiciens communiquent par le biais des communicants. Tout ça est une vaste tartufferie dans les faits. Sans vouloir faire dans le simplisme, on est victime des gens pour lesquels on vote et on vote plus pour des phrases de communicant que pour un réel pouvoir politique. Horace Hole aimerait tellement avoir cette grande puissance et ce certain pouvoir. Et comme le pouvoir rend con, on revient une peu à ce « ass hole » qui m’intéresse assez.

Horace Hole est-il de ce monde ? Comme cette dame sur le marché s’interroge : « Mais il tombe d’où ? »

C’est aussi le prolongement de la fiction. On a fait déambuler Horace Hole sur le marché de Tubize et se comporter comme un politicien au gré des gens qu’il rencontrait. On a tournée pendant trois heures avec un garde-du-corps et un conseiller en communication qui sont en fait des potes à nous. Et c’est assez interloquant de voir qu’avec des phrases très creuses, vraiment très creuses, de « Je vous ai compris » à « L’être humain est au centre de mes préoccupations » en passant par « Je suis citoyen du monde », on puisse encore faire mouche. Que des politiciens puissent encore vendre leur soupe comme les marchands du coin. Moi qui ne suis pas connu à Tubize, j’y arrive avec une caméra de télévision et tous se disent que je dois être quelqu’un d’important.

J’aime l’idée selon laquelle ce personnage tombe de nulle part pour arriver sur la scène. Et que les gens viennent le voir. Ce qu’il a à dire, je ne peux pas tout révéler. Mais ce qui est intéressant, c’est de voir que les gens viennent voir un gars qui aime beaucoup parler de lui, parce que c’est agréable, il parle de ce qu’il pense… Il va tomber sur scène avec cette envie profonde d’être là, de se montrer, donc pas comme un cheveu dans la soupe, mais que va-t-il dire, raconter ? Il critique à tout-va mais n’est-il pas l’exemple de ces politiciens plus pleins d’eux-mêmes que de bons projets.

Né à Montevideo, comment Horace Hole a-t-il atterri dans notre plat pays ?

C’est un citoyen du monde … et aussi purement de la fiction (rires).

Comment est né ce projet, alors ?

J’avais déjà fait deux seuls en scène, Marlon et Bob Jésus. À vrai dire, je n’avais pas à proprement parler, envie de remonter sur scène. Je fais du cinéma, avec Céline, on a des tas de projets. Mais le théâtre… Je ne suis pas un fou de théâtre ! Jusqu’au moment où j’ai retrouvé ces fameux textes au moment de réaliser Rock’n’roll isn’t only rock’n’roll. Et dans ces textes, il y avait de la colère. Mais aussi de la fâcherie avec le monde, une réaction à des choses foncièrement dérangeante.

Et la colère qui m’a fait démarrer Rock’n’roll isn’t only rock’n’roll – à savoir, que veut dire le mot « rock » et est-ce toujours synonyme de révolution ? -, je l’ai retrouvée dans plein de textes. Elle était fondatrice, chez moi, d’une certaine rébellion. Mais une rébellion transposée dans un personnage qui n’est pas du tout un rebelle ou qui aimerait l’être. Ce côté « le monde dans lequel je suis m’emmerde », je devais dès lors le faire passer sans être moralisateur ou sentencieux. Et quand bien-même je le serais ou le serait-il, un brin de morale, c’est toujours intéressant de toute façon : quand on n’est pas d’accord avec le monde, peut-être que replacer les choses moralement, avec un personnage oscillant entre le prolongement de soi et le « contre-soi même », ça peut être intéressant. C’était le bon moment pour retourner sur scène.

Horace Hole - Didier Gesquiere - spectacle (2)

Sur votre site, on voit une liste démentielle de choses que vous n’aimez pas. Mais qu’aimez-vous alors ?

Il y a des choses qu’effectivement je n’aime pas, comme c’est ma plume que je mets dans la bouche d’Horace Hole. Ce que j’aime, moi, c’est la probité par rapport aux choses. Fondamentalement. Le reste, c’est du décorum.

On parle de vrai-faux stand-up, kézaco ?

C’est une dénomination un peu arbitraire. Ce n’est pas du vrai stand-up parce que je n’ai pas envie d’être humoriste. Et d’ailleurs, ceux qui font du stand-up le font en général en leur propre nom. Mais la forme m’intéressait, telle que la concevait Lenny Bruce ou Pierre Desproges, d’une certaine manière, ou des gens comme Jérôme de Warzée. Ça m’intéresse d’avoir la forme d’un stand-up… comme nos politiciens qui se révèlent parfois être de grands stand-upistes ! Il y a plein d’exemples : Galant, Michel, Onkelynx, même Miterrand. Il y a chez ces gens, un côté tribun très proche du stand-up. Le discours de rentrée de Manuel Valls, sa mise en scène. Dans le stand-up, il y a quelque chose d’un peu faux, les gens viennent se raconter et livrer des blagues.

Ce qui m’intéressait, ici, était de sortir de la blague mais avoir cette identification au stand up, tout en ayant des blagues mais aussi, parfois, des moments où on ne rit plus ! Ça m’intéressait de, tout d’un coup, gripper la mécanique pour entrer dans quelque chose de différent. Les choses sont dites et prennent un peu plus de temps pour rentrer dans la tête. À la différence des titres de journaux qui tablent sur des titres un peu grossiers mais qui nous font penser que tout est dit. Dans le fait que le rire ne soit pas immédiat, je pense qu’Horace Hole a à y gagner.

Quelles vont être les thématiques de ce spectacle ?

D’abord cette espèce d’enfumage, de fausse communication, de tout. Par la presse, les politiciens, les émissions de télé, les philosophes… C’en est compliqué d’être réactif et lucide, et de rester vigilant à ce que cette loupiotte du sens critique continue de s’allumer en évitant de s’emberlificoter dans les belles paroles. La thématique du spectacle, c’est réellement cette communication à outrance, c’est la non-communication. La vraie communication, c’est quand même établir un lien. Je pense que la vraie thématique est là… avec le faux-investissement des vrais-faux-révolutionnaires et des personnes qui se disent engagées mais qui dans les faits ne le sont pas. On se rend malheureusement compte qu’à droite comme à gauche, en France mais aussi dans le nord de notre pays, que tout part en couille. Hollande et Valls ne sont plus de gauche, pour moi.

Du coup, ça m’intéresse qu’on puisse être déstabilisé par un gars comme Horace Hole qui avec des banalités ou des choses choquantes devient assimilé à un type qui tombe du ciel, comme un génie. Et qu’on puisse rire à ce qu’il dit. Alors que c’est grave. Parce que la thématique, c’est aussi : « Je vous prends à l’envers ».

Crédit: HamiltonLake

Derrière ce spectacle, on retrouve la société Cabot And Co. Une société qui table sur plusieurs plans, le théâtre, le documentaire mais aussi l’organisation événementielle. Comment est né Cabot and Co ?

C’est une structure créée dans les années 90. Céline y est arrivée dans les années 2000. Cabot and Co fait du théâtre, du cinéma et de l’événement. L’idée est avant tout de faire beaucoup de choses par nous-mêmes. Comme pour Rock’n’roll isn’t only rock’n’roll. Ce sont des projets qui nous appartiennent – on ne produit d’ailleurs pas d’autres choses -, juste des choses que nous avons envie de produire. On fait du théâtre comme du cinéma, de même qu’on fait du cinéma au plus proche de nos envies et de notre écriture. Dans l’événement, on fait les acteurs à domicile, deux comédiens qui se rendent dans des mariages, des fêtes de société et viennent mettre le souk. C’est comme du théâtre avec cette volonté d’être au plus près du crédible de la vie. C’est une de nos spécialités. On prend le plus possible de la vie pour l’emmener en fiction et dans le jeu. Il faut éloigner le plus possible le jeu et les artifices, pour être plus brut.

Derrière Cabot and Co, on retrouve votre duo, quel a été votre parcours à tous les deux ?

Céline faisait de la communication. Moi, je m’occupais de l’agenda culturel Java, aujourd’hui disparu, pour la RTBF. Je faisais la voix et les textes. On s’y est rencontré, elle était stagiaire. Mon parcours est intimement lié à la RTBF avec des voix et des présentations d’émissions. Céline avait l’envie de faire autre chose que de la communication, j’ai rapidement compris que le cinéma l’intéressait. Et on s’est dit que tout d’un coup, deux générations se rencontraient, avaient les mêmes souhaits. Ce sont des parcours qui se rencontrent et ne font qu’un, sans vouloir entrer dans des métaphores à la con, sur le désir de cinéma et de création. C’est un hasard qui a bien fait les choses.

Il y a peu, vous étiez derrière un documentaire qui a fait pas mal du bruit : Rock’n’Roll isn’t only rock’n’roll. Le rock, c’est une vraie religion pour vous non ?

Le rock, pour moi, c’est bien au-delà de la musique. Comme le film le montre. Le rock, c’est incontestablement une musique, de plus en plus d’ailleurs avec des choses que je n’écoutais pas avant. C’est une attitude, une manière de vivre. Et ce qui m’intéresse, c’est de faire les choses à ma manière et non comme la société, le monde, voudrait que je le fasse. En ça, c’est une religion. Mais, ça consiste aussi à être totalement libre dans sa tête. De totale liberté. Tenter de ne jamais se laisser bêtement mené par le nez parce que c’est dans l’ordre des idées reçues.

TeaserKissKiss from Céline Charlier on Vimeo.

Toujours est-il que vous semblez avoir de merveilleuses connaissances quand on voit le casting de Rock’n’roll isn’t only rock’n’roll. Il était facile de rassembler, de convaincre toutes ces personnes ?

Avec cet horizon commun, cette même envie, Céline a fait un gros travail pour convaincre personnalités, boîtes de production, les agents. Un travail de longue haleine. Certains que je connaissais m’ont aussi fait confiance. Puis, à chaque fois, c’est un travail qui, pour chaque personnalité, a créé un moment de suspension. Et ce casting merveilleux s’est livré à ce moment. Dans les personnes qu’on a gardées, et même celles qu’on n’a pas retenues, personne n’a joué la carte de la simple interview commerciale et de vendeur de sauce. Ces gens nous ont fait confiance, et je pense que nos personnalités et nos manières de voir les choses qui les ont rassurés. Il y avait cette envie d’avoir l’opinion de ces personnes. Qu’est-ce que c’est que le rock’n’roll, qu’évoque-t-il ? J’ai encore le souvenir très vivace d’être yeux dans les yeux avec un de nos intervenants et de me dire : « Là on est en train de parler ! ». Et je pense que ça donne à notre documentaire quelque chose d’extrêmement singulier.

Quelles sont vos influences dans le métier ? Et dans le rock ?

C’est très éclectique. Dans le rock, sans doute Johnny Cash, de même qu’Elvis Presley. Mais aussi plein de groupes.  Et aussi Frank Sinatra, son attitude était rock. Mes parents écoutaient beaucoup de crooners, chez ces gens, il y avait une forme de liberté. De scandale aussi. Alcool, femmes, manière de dire au monde qu’ils l’emmerdaient. Je viens de voir un documentaire sur Lemmy Kilmister, que je ne connais pas plus que ça, il y avait de ça. Et je me suis dit que oui, si j’avais rencontré sa musique vingt ans auparavant… J’admire Daan dans sa liberté de choisir les formats musicaux qu’il peut mettre sur ses albums.

Puis, il y a des acteurs des années 40, 50, 60, que j’ai découvertes en regardant des films avec ma grand-mère. Des gens comme Humphrey Bogart, Spencer Tracy. Pour ce naturel et cette matière qu’il y a dans leur jeu. Et, aujourd’hui, quelqu’un comme Sean Penn, sans l’idolâtrer mais en admettant voir en lui quelque chose qui m’intéresse très fort.

Est-il facile d’être artiste en Belgique ?

Moi, j’ai toujours vécu de mon métier. Jamais réellement difficilement. Je n’ai jamais eu beaucoup d’argent mais je n’ai pas non plus connu la dèche. J’avais de quoi manger, boire, me chauffer et me loger. La difficulté, je pense, vient du comment faire les choses. C’est vrai dans beaucoup de pays et pour beaucoup de gens. Je ne sais pas si c’est facile pour Arno ou Daan de faire leurs disques. Et Placebo ? Je ne connais pas la vie des gens.

Je pense que les choses sont parfois difficiles en fonction des choix de carrière et des envies qu’on a. Mais je ne me plains pas. Ce n’est pas un métier dur. Moi je me mets parfois la pression. Mais je ne crois pas que ce soit le plus dur métier du monde, ni le plus beau. Ce n’est pas non plus une passion. C’est un métier que j’essaie de faire le mieux possible dans un système qui n’aide pas toujours les créateurs. Mais c’est vrai partout. Et, nous deux, nous vivons ça de manière assez naturelle.

Comment l’êtes-vous devenu ?

Je suis devenu artiste comme ça par hasard. Je suis issu d’une famille qui a toujours travaillé dans les restaurants, les tavernes, les bistrots… Moi aussi, vers 21-22 ans, je n’y ai pas échappé, dans une taverne comme serveur. Un jour, un pote avec qui j’avais été à l’école rentre dans cette taverne au bras d’une fille qui n’était ni sa copine, ni son amante. Tous deux sont dans une école d’art dramatique, non loin de ma taverne. Ils me jaugent, leur présence m’incite à être au taquet. En tant que serveur, j’en remets une couche et je joue un peu. Ils me regardent et me disent : « Tu devrais être acteur, toi ! » Quinze jours plus tard, j’étais inscrit, j’avais arrêté mon boulot et mis toutes mes économies dans une école privée pour apprendre durant deux ans, un métier qu’on n’apprend pas vraiment. Ou peut-être un peu techniquement. Il n’y a pas d’ABC, c’est de l’instinct  et il faut faire avec ce qu’on est.

Quels sont vos projets ?

Un long-métrage écrit pour Céline sur sa propre idée. On est en train de tenter de monter ce projet. Et puis, des projets de comédiens au cinéma. Puis, Céline travaille pour Matière Grise. Et on compte bien faire tourner Horace Hole !

Branchés Culture – Alexy Senis

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